2023-11-23 Missak Manouchian doit entrer au Panthéon avec tous ses camarades

Introduction

Dans une lettre ouverte, signée par des descendants des vingt-trois martyrs du groupe de résistants FTP-MOI dont Missak Manouchian fut le chef militaire, un collectif appelle Emmanuel Macron à ne pas dissocier ce dernier de l’ensemble de ses camarades :

“Isoler un seul nom, c’est rompre la fraternité de leur collectif militant. Distinguer une seule communauté, c’est blesser l’internationalisme qui les animait.”

La lettre

Monsieur le Président de la République, nous vous écrivons cette lettre dans l’espoir d’empêcher une injustice.

Vous avez annoncé le 18 juin 2023 votre choix de faire entrer au Panthéon les dépouilles de Missak Manouchian et de son épouse, Mélinée, en février 2024, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire du martyr du groupe de résistance à l’occupation nazie et à ses collaborateurs français.

Le 21 février 1944, vingt-deux hommes furent fusillés au Mont-Valérien. La seule femme de leur réseau fut décapitée à Stuttgart, le 10 mai 1944.

Votre décision est une heureuse nouvelle qui nous a réjouis. Mettant fin à un trop long oubli, elle marque la reconnaissance de la contribution décisive des résistants internationalistes à la libération de la France et au rétablissement de la République.

Manouchian et ses camarades appartenaient en effet aux Francs-tireurs et partisans - Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), une unité de la Résistance communiste composée en grande part d’étrangers, de réfugiés et d’immigrés. “Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant”, rappelait Louis Aragon en les célébrant dans son poème “L’Affiche rouge”, où il évoquait leurs noms “difficiles à prononcer”.

En nos temps ô combien incertains où de nouvelles ombres gagnent, où xénophobie, racisme, antisémitisme et toutes les formes de rejet de l’autre, de l’étranger et du différent menacent, cet hommage patriotique et républicain est un message de fraternité qui rappelle que la France a toujours été faite du monde, de la diversité de son peuple et de la pluralité de ses cultures grâce à l’apport de toutes ses communautés d’origine étrangère.

C’est surtout un message universel qui souligne combien les idéaux d’égalité des droits, sans distinction de naissance, de croyance ou d’apparence, initialement proclamés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, pour lesquels Manouchian et ses camarades ont donné leurs vies, peuvent soulever le monde entier.

Sans en oublier un seul

Or, Monsieur le Président, c’est ce message que contredit le choix de faire entrer au Panthéon Missak et Mélinée Manouchian, et eux seuls.

Eux-mêmes ne l’auraient sans doute ni compris ni souhaité.

Isoler un seul nom, c’est rompre la fraternité de leur collectif militant.

Distinguer une seule communauté, c’est blesser l’internationalisme qui les animait.

Ce groupe de résistants communistes ne se résume pas à Manouchian qui, certes, en fut le responsable militaire avant que la propagande allemande ne le promeuve chef d’une bande criminelle.

Et le symbole qu’il représente, à juste titre, pour nos compatriotes de la communauté arménienne est indissociable de toutes les autres nationalités et communautés qui ont partagé son combat et son sacrifice.

Monsieur le Président, nous espérons vous avoir convaincu que Missak Manouchian ne saurait entrer seul au Panthéon, fût-ce en compagnie de son épouse.

Ce sont les vingt-trois, tous ensemble, qui font l’épaisseur de cette histoire, la leur devenue la nôtre, celle de la France, hier comme aujourd’hui. Les vingt-trois, sans en oublier un seul : juifs polonais, républicains espagnols, antifascistes italiens, et bien d’autres encore.

Nous vous demandons donc de faire en sorte qu’il soit accompagné par ses vingt-deux camarades:

  • l’Arménien Armenak Arpen Manoukian,

  • l’Espagnol Celestino Alfonso,

  • les Italiens Rino Della Negra, Spartaco Fontanot, Cesare Luccarni, Antoine Salvadori et Amedeo Usseglio,

  • les Français Georges Cloarec, Roger Rouxel et Robert Witchitz,

  • les Hongrois Joseph Boczov, Thomas Elek et Emeric Glasz,

  • les Polonais Maurice Füngercwaig, Jonas Geduldig, Léon Goldberg, Szlama Grzywacz, Stanislas Kubacki, Marcel Rajman, Willy Schapiro et Wolf Wajsbrot,

  • et la Roumaine Olga Bancic.

Ils étaient vingt-trois, “vingt et trois qui criaient la France en s’abattant” – Aragon toujours –, vingt et trois qui disent notre patrie commune, sa richesse et sa force.

Vingt et trois qui, à l’heure de la reconnaissance nationale, sont indissociables .

Signataires

  • Juana Alfonso, petite fille de Celestino Alfonso ;

  • Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France ;

  • Michel Broué, mathématicien

  • Patrick Chamoiseau, écrivain ;

  • Costa-Gavras, cinéaste, président de La Cinémathèque française ;

  • Elise Couzens et Fabienne Meyer, cousines germaines de Marcel Rajman ;

  • Michel, Patrice et Yves Della Negra, neveux de Rino Della Negra ;

  • René Dzagoyan, écrivain ;

  • Jean Estivil, neveu de Celestino Alfonso ;

  • André Grimaldi, professeur émérite de médecine ;

  • Anouk Grinberg, comédienne et artiste ;

  • Jean-Claude Grumberg, écrivain et homme de théâtre ;

  • Yannick Haenel, écrivain ;

  • Delphine Horvilleur, rabbine et écrivaine ;

  • Serge et Beate Klarsfeld, historiens ;

  • Mosco Levi Boucault, réalisateur ;

  • Patrick Modiano, écrivain, prix Nobel de littérature ;

  • Edgar Morin, sociologue et philosophe ;

  • Edwy Plenel, journaliste ;

  • Anne Sinclair, journaliste ;

  • Thomas Stern, neveu de Thomas Elek ;

  • Annette Wieviorka, historienne, directrice de recherche au CNRS ;

  • Ruth Zylberman, écrivaine et réalisatrice.

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