2024-02-07 Y a-t-il une caractéristique de l’antisémitisme à gauche ? avec Brigitte Stora, Lola Yaïche et Jonas Pardo

Introduction

Emmanuel Macron a rendu un hommage national aux victimes françaises de l’attaque du 7 octobre, menée par le Hamas en Israël. Plusieurs familles ne souhaitaient pas la présence de LFI. Existe-t-il un déni de l’antisémitisme à gauche ? Se distingue-t-il de l’antisémitisme d’extrême-droite ?

Avec:

  • Jonas Pardo Formateur à la lutte contre l’antisémitisme et militant au sein du collectif Golem

  • Brigitte Stora Journaliste indépendante et militante antiraciste

  • Lola Yaïche Militante à Place publique et au sein du collectif Golem

Dans le discours prononcé aujourd’hui par le président de la République aux Invalides en hommage aux 42 français assassinés lors des attaques du 7 octobre 2023, Emmanuel Macron a réaffirmé qu’il fallait “ne rien céder à un antisémitisme rampant, désinhibé”.

Car depuis le 7 octobre les actes antisémites ont connu une hausse de 1000% selon le CRIF.

Mais qui sont les antisémites ?

Comment ceux qui pensaient, comme une de nos invitées, Brigitte Stora, qu’elle appartenait à une génération heureuse, qui avait cru à la fin de l’antisémitisme, se retrouvent confrontés à des propos et des actes condamnables par la loi ?

Et, outre le traditionnel antisémitisme d’extrême droite, quelle place prend dans ces attaques l’antisémitisme de gauche ?

A-t-il d’ailleurs une histoire différente ? Quelles formes prend-il ? L’enjeu définitionnel : qu’est-ce que l’antisémitisme ?

Jonas Pardo

“L’antisémitisme, c’est quelque chose qui traverse toute la société. Il n’a pas de couleur politique particulière. Il traverse toutes les couches sociales. Si la gauche a produit effectivement de l’antisémitisme, comme au XIXe avec l’antisémitisme économique, dans les premières critiques du capitalisme, c’est parce que les juifs étaient accusés d’avoir amené ce nouveau système social basé sur la propriété privée des moyens de production”.

Pour Brigitte Stora

Pour Brigitte Stora il est nécessaire, pour le définir, de comprendre que l’antisémitisme évolue. Elle explique : “Dès après la Shoah, on observe le négationnisme se former. Et en 1948, les premiers négationnistes accusent les juifs d’avoir inventé le génocide pour s’approprier Israël et pour, selon eux, couvrir le génocide des Palestiniens. Et donc cette accusation, elle va être reprise par la suite à gauche, on va voir un négationnisme de gauche”.

Elle ajoute : “Mais l’antisémitisme, c’est un seul discours. Je crois qu’il est quand même temps de l’écouter, puisqu’il dit exactement toujours la même chose. Il dit qu’il y a un peuple coupable qui domine le monde, qui conspire à la domination mondiale, qui a été élu à la place des autres, qui s’est accaparé l’avenir des autres. L’antisémitisme s’est toujours pensé comme une autodéfense, une légitime défense face à l’hégémonie juive”. Le conflit israélo-palestinien, une cristallisation des confusions

Lola Yaïche

Etudiante à Lille, Lola Yaïche, évoque son ressenti depuis le 7 octobre 2023 : “On a l’impression que la parole juive, quand on essaye de dénoncer l’antisémitisme, est toujours conditionnée au fait de donner patte blanche sur le conflit israélo-palestinien.

Or, quand on dénonce une oppression subie, on ne devrait pas se justifier de quelconque positionnement politique, et c’est très douloureux en tant que militante de gauche”.

Jonas Pardo

poursuit : “Oui, c’est une observation qu’on fait depuis les années 2000. A chaque explosion des tensions au Moyen-Orient correspond une montée de l’antisémitisme en France.

Et pour revenir sur les gauches, on voit quand même quelque chose d’assez inquiétant, c’est la mise en opposition de la solidarité avec la Palestine de la lutte contre l’antisémitisme” .

Pour aller plus loin

  • Le nouveau livre de Brigitte Stora, déjà autrice de Que Sont Mes Amis Devenus Les Juifs, Charlie Puis Tous Les Nôtres, est à paraitre le 1er mars 2024 aux éditions Le Bord de l’eau : Antisémitisme : un meurtre intime .

  • Les éditions Robert Laffont viennent de publier Une histoire politique de l’antisémitisme en France, de 1967 à nos jours . L’ouvrage collectif a été dirigé par les historiens Alexandre Bande et Pierre-Jérôme Biscarat et le politologue Rudy Reichstadt.

  • L’historien Michel Dreyfus a publié un ouvrage de référence : L’antisémitisme à gauche : histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours (La Découverte, réédition en 2011).