2024-03-22 La présidente des Jeunes Socialistes victime d’antisémitisme : “Ceux qui m’attaquent ne méritent pas de se dire de gauche” par Charlotte Belaïch

Auteure

Des sympathisants de La France insoumise participent au harcèlement qu’elle dénonce

“ Punaise de lit “, “ sale race de youpine “, “ infiltrée “, “ dragon céleste “, “ on viendra vous chercher un par un “,… Après avoir porté plainte, je prends la parole.

La présidente des Jeunes Socialistes victime d’antisémitisme : “Ceux qui m’attaquent ne méritent pas de se dire de gauche””

Depuis le 7 Octobre 2023, Emma Rafowicz subit des attaques et des menaces en raison de ses origines juives et de l’engagement de son oncle, porte-parole de Tsahal. Selon elle, des sympathisants de La France insoumise participent au harcèlement qu’elle dénonce .

Emma Rafowicz est une femme, française, de gauche . Présidente des Jeunes Socialistes et candidate aux européennes sur la liste de Raphaël Glucksmann, c’est ainsi qu’elle se définit. Mais pour d’autres, Emma Rafowicz, petite-fille de Polonais victimes des pogroms, est juive avant tout. Qu’importe si, malgré un passage à l’Union des étudiants juifs de France, elle n’en fait pas un élément de son identité politique.

Sur le réseau social X, certains la considèrent avant tout comme la nièce d’Olivier Rafowicz, le porte-parole de Tsahal qui a écumé les plateaux français après le 7 Octobre. Ciblée par des attaques antisémites depuis des semaines, la socialiste a fait un signalement à la plateforme officielle Pharos et déposé plainte le 6 mars 2024 .

Dans les tweets qu’elle a montrés aux enquêteurs, on lui reproche les positions de son oncle et on l’accuse “d’infiltrer” la politique française pour le gouvernement israélien. Elle partage pourtant les mots d’ordre de son camp politique : condamnation du massacre à Gaza, appel à la libération des otages, défense de la solution à deux Etats .

“On aurait préféré que ta mère avorte pour que ta lignée d’assassins s’éteigne”, peut-on lire par exemple.

La socialiste est aussi régulièrement qualifiée de “génocidaire”, que ce soit en réaction à un post de soutien au mouvement #MeTooGarçon ou à une vidéo d’elle au Salon de l’agriculture.

Ces dernières semaines, elle a compilé des dizaines d’interpellations, dont celles-ci : “Je pense que tu t’es trompée d’élections. Il faut faire ton aliyah et s’inscrire avec le Likoud [le parti de Benyamin Nétanyahou, ndlr]” ; “Israël n’est pas en UE, retourne dans ton “pays”” ; “c’est comme les cafards, tu les vois pas arriver” ; “la France est gangrenée par les punaises sionistes du Crif” ; “Ils sont partout !!! A éradiquer ces punaises de lit” ; “Hitler avait raison” ; “salerass [sic] de youpins”.

La jeune femme a aussi classé les menaces : “On n’oublie rien. On viendra vous chercher un par un”. Beaucoup de messages font aussi référence à Raphaël Glucksmann, tête de liste du PS, et fils d’André Glucksmann, orphelin de la Shoah : “Glucksmann, Rafowicz… c’est de la même graine.”

Parmi les auteurs, quelques comptes semblent proches des idées de l’antisémite Alain Soral. Mais si la grande majorité des comptes sont anonymes et ne revendiquent aucune appartenance politique, Emma Rafowicz relève surtout des signes d’adhésion ou de sympathie pour la sphère insoumise .

Sur les comptes auteurs des attaques, beaucoup de drapeaux palestiniens, mais aussi des triangles rouges. Historiquement porté par les prisonniers politiques dans les camps nazis, ce symbole de résistance aux idées d’extrême droite, que Mélenchon et beaucoup d’insoumis portent épinglé à leurs vestes, est aujourd’hui repris comme marque de soutien aux milices palestiniennes qui combattent Israël .

On retrouve aussi quelques tortues, signe de ralliement de La France insoumise depuis la campagne présidentielle de 2022 . Le 3 mars 2024, encore, un internaute détourne un slogan de la campagne européenne de LFI en écrivant, sous un photomontage d’Emma Rafowicz et de son oncle : “La famille Rafowicz (sionistes) vote, et vous ?”

Le compte des jeunes insoumis d’Aix-en-Provence a aussi répondu à une publication de la socialiste en écrivant : “Tonton Olivier Tsahal doit être fier !”

Interrogé par Libération, le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, affirme que son mouvement “n’a rien à voir avec [ces] attaques antisémites” (voir en fin d’interview).

Comment réagir ? Certains au PS ont conseillé à Emma Rafowicz de condamner encore plus vivement le gouvernement Nétanyahou, comme s’il fallait “compenser”.

La socialiste, elle, a décidé de ne pas “baisser la tête”, et de s’exprimer en son nom .

Pourquoi avez-vous décidé de parler ? “J’en ai assez qu’on me demande, à moi, mais aussi aux jeunes, aux Juifs, aux Arabes, de dire “not in my name”

Je suis depuis quelques semaines l’objet de menaces et d’insultes .

Si je prends la parole, c’est parce que je suis une femme politique qui ne baisse pas la tête. J’en ai assez qu’on me demande, à moi, mais aussi aux jeunes, aux Juifs, aux Arabes, de dire “not in my name” .

Certains prennent le prétexte de mon oncle alors que j’ai toujours été claire : je dénonce le massacre à Gaza et la politique de Nétanyahou, je suis pour un cessez-le-feu immédiat et une solution à deux Etats .

Mon oncle a fait ses choix de vie, j’ai fait les miens. En dehors des liens du sang et d’un nom de famille, nous ne partageons ni les mêmes convictions ni le même pays.

J’ai décidé de parler car j’ai envie de dire que je n’ai pas peur, que ceux qui m’attaquent ne méritent pas de se dire de gauche, qu’ils sont mes adversaires et ne seront jamais majoritaires en France. Mes parents ont enlevé leur nom de leur sonnette et ont peur pour leur sécurité. Il y a quelques mois, j’ai eu une longue discussion avec Robert Badinter. Il m’a dit : “Vous ne devez jamais céder sur l’universalisme.” Ces mots-là, j’y repense ces dernières semaines.

L’universalisme est-il en danger ?

Je suis une femme, de gauche, française, et certains me le refusent et veulent m’exclure de nos luttes. Ça m’indigne.

L’idée que chacun se définit par rapport à ses actes, à ses écrits, devrait s’appliquer à tous . Mais il y a une dérive de certains, pour qui des religions réelles ou supposées, des ascendances généalogiques, enferment les gens dans une identité .

Ce sont les mêmes qui supposent que les musulmans sont antisémites et que moi, je ne suis pas ce que je suis parce que je m’appelle Rafowicz. Ce sont des méthodes de fachos que je refuse . J’ai l’universalisme chevillé au corps et certains, à gauche, se vautrent dans une vision identitaire portée par l’extrême droite. Ils ne pensent pas être racistes, mais ils le sont.

On veut faire de nous des personnes à unique dimension. Or on n’est pas unidimensionnel et on est même parfois des choses paradoxales. Mais on fait des choix, on a des idées, des parcours et des convictions. Moi, mon choix est fait : c’est celui d’être une citoyenne française, socialiste et européenne.

Vous mettez en cause les insoumis ?

Ces attaques viennent essentiellement de comptes X ou TikTok proches des insoumis, et sont relayées par une LFI-sphère, qui ne cesse de répandre des fake news. Ceux qui m’attaquent se sentent autorisés à le faire . C’est l’effet produit par certains discours, irresponsables .

Je suis candidate aux élections européennes sur la liste d’un parti qui refuse les partitions entre citoyens.

Il ne suffit pas de dire le mot “paix” quatre fois dans une phrase pour être une femme ou un homme de paix. La paix, c’est un combat actif et c’est aussi une attitude personnelle, une attitude militante .

Ça n’est pas parce qu’on crie le plus fort qu’on est le plus juste. Chasser en meute, insulter ses camarades de combat, insinuer, humilier et salir : ce n’est pas ce que j’appelle le combat contre le racisme.

Selon vous, ces attaques viennent plus de militants insoumis que de l’extrême droite ?

Oui, malheureusement. Moi qui ne cesse d’œuvrer pour le rassemblement et l’union de la gauche, j’aurais souhaité que La France insoumise, avec qui j’ai milité, condamne les propos de ses aficionados et exclue les membres antisémites de ses rangs.

Je leur demande de prendre les mesures qui incombent à un parti de gauche républicain.

Vous avez le sentiment d’une assignation religieuse ?

Oui, c’est de l’essentialisme mais aussi du sexisme, car ces attaques supposent que je ne peux pas être indépendante des paroles d’un homme .

Une internaute qui a lancé le premier raid a écrit : “Je me fous de sa personne mais je dénonce la charge symbolique qu’elle porte malgré elle.” Les tenants de la race et du sang sont de retour . Quoi que je fasse, quoi que je dise, je suis coupable d’un événement qui se passe à des milliers de kilomètres, même si je le dénonce.

Ces gens-là se prétendent de gauche mais ils n’ont rien à voir avec nos luttes pour l’émancipation. J’ai commencé à militer en 2011, à 16 ans, en Essonne, contre la réforme des retraites, je me suis engagée à SOS Racisme et j’ai poursuivi mon parcours militant au PS. C’est ça mon histoire.

Chez moi, il y avait dans l’entrée la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’affiche rouge de Manouchian. C’est ça mon héritage .

Mais aujourd’hui, on me refuse d’être ce que je suis. Je pense en fait que je les bouscule : je m’appelle Rafowicz et je fais les manifs pour Gaza. Dans leur modèle de pensée, ça ne marche pas .

Vos origines n’ont jamais eu d’influence dans votre construction personnelle et politique ?

Evidemment que le fait d’avoir une famille polonaise qui a fui les pogroms et une arrière-grand-tante résistante communiste que j’admire fait partie de ma réflexion. Je me suis sans doute très vite engagée dans le combat antiraciste parce qu’on me raconte la Shoah depuis que je suis petite. Mais de la même manière que, fille de profs, j’ai été sensible très tôt aux galères de l’éducation nationale. On veut faire de nous des personnes à unique dimension .

Or on n’est pas unidimensionnel et on est même parfois des choses paradoxales. Mais on fait des choix, on a des idées, des parcours et des convictions. Moi, mon choix est fait : c’est celui d’être une citoyenne française, socialiste et européenne.

Est-on forcément antiraciste parce que juif ? Les juifs de France ne se sont-ils pas droitisés ?

Certes, la dynamique identitaire touche toute la société. Mais encore faut-il qu’on soit accueilli quand on fait le choix de l’émancipation. Il y a une montée de l’antisémitisme partout, y compris dans des sphères qui se prétendent de gauche. Heureusement, il y a des gens qui disent que ce n’est pas acceptable.

L’antisémitisme de gauche est-il différent de l’antisémitisme historique ?

Pas vraiment. Ces inquisiteurs prétendent s’opposer aux pro-Nétanyahou, ce qui serait politique donc légitime, mais moi, on ne peut pas me reprocher de le soutenir .

Ce sont en réalité des attaques antisémites qui ne sont pas vraiment différentes de celles de 1930. On me qualifie d’infiltrée, de punaise de lit, de youpine… Il y a aussi “dragon céleste”, ça, c’est nouveau.

Si les camarades de tous les partis m’ont envoyé des messages de soutien, les insoumis ont dû voir ces attaques aussi. Personne ne m’a écrit. Ça dit quelque chose .

J’aimerais un réveil. Je leur demande de se réveiller, ils ne réalisent pas le mal qu’ils font à la gauche .

Réaction de Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise (2024-03-22)

“La France insoumise n’a rien à voir avec les attaques antisémites que dénonce Mme Emma Rafowicz. Notre mouvement combat au quotidien l’antisémitisme, comme toutes les formes de racisme, et apporte sa solidarité avec toutes les personnes qui en sont victimes. Je regrette de voir la responsable des Jeunes socialistes participer, par cette accusation honteuse et sans fondement, à la campagne de dénigrement contre La France insoumise menée par les soutiens inconditionnels au gouvernement d’extrême droite israélien.”

Note

un déni de l’antisémitisme chez LFI

Aucune condamnation de ces actes antisémites précis, ni de solidarité avec la victime, mais une attaque contre la victime même…