2024-04-29 Face à l’extrême droite : refaire la gauche et son imaginaire, radicalement par Philippe Corcuff

L’auteur Philippe Corcuff

Préambule I

Pour information, j’ai publié des extraits d’une conférence sur l’extrême droite faite à Annecy jeudi sur mon blog de Mediapart: Face à l’extrême droite : refaire la gauche et son imaginaire, radicalement , 29 avril 2024,

C’était à l’invitation de militant.e.s associatifs, syndicaux et politiques de gauche dans la perspective de constituer des comités locaux contre l’extrême droite en Haute-Savoie .

Préambule II

Devant la possible victoire de l’extrême droite en 2027 : lutter contre ses idées, mais surtout rebâtir une gauche d’émancipation à partir de nos vies ordinaires, du tissu associatif et syndical, des expériences alternatives, en réinventant un imaginaire émancipateur, qui à apprendre de Jean Ferrat ou d’Alain Souchon, mais en arrêtant de fantasmer sur de prétendus “hommes providentiels”.

Introduction

Le 25 avril 2024, j’ai donné une conférence-débat à Annecy sous le titre “Quelles réponses face à l’extrême droite ?” à l’initiative de militant.e.s associatifs, syndicalistes et politiques de gauche souhaitant déboucher sur la constitution de collectifs locaux contre l’extrême droite dans le département de Haute-Savoie.

La conférence proprement dite a été précédée d’un court échange autour de mon dernier livre, coécrit avec Philippe Marlière : Les Tontons flingueurs de la gauche. Lettres ouvertes à Hollande, Macron, Mélenchon, Roussel, Ruffin, Onfray (éditions Textuel, avril 2024, 96 pages)” .

Ensuite trois parties sur quatre de la conférence se sont appuyées sur mon ouvrage : La Grande Confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (éditions Textuel, mars 2021, 672 pages) .

La dernière partie de la conférence était plus inédite car, à la demande des initiatrices et des initiateurs de cette réunion publique, elle a exploré des pistes de réponses face à l’extrême droite.

C’est cette partie de la conférence qui est publiée ci-après .

Face à l’extrême droite : refaire la gauche et son imaginaire, radicalement

Me voilà amené, pour clore mon exposé, à passer aux réponses possibles face à l’extrême droite.

Je ne suis pas un magicien dans ce domaine comme dans d’autres.

Et s’il y avait des recettes magiques face à la montée de l’extrême droite, on les aurait trouvées depuis longtemps. Or, les premières percées électorales du FN datent déjà de 1983 (élection municipale partielle de Dreux) et de 1984 (élections européennes).

Et les réponses sont difficiles, car:

  • 1) l’extrême droite s’est maintenant durablement installée électoralement en France ;

  • et 2) la dynamique idéologique ultraconservatrice se développant à partir du début des années 2000, que j’ai analysée dans la deuxième partie de mon exposé et dans La Grande Confusion, a créé une sorte d’air du temps dans les débats publics qui facilite la dynamique électorale de l’extrême droite.

Et puis c’est difficile, car cette double dynamique idéologique et électorale bénéficie de la crise structurelle de la gauche.

On pourrait même avancer qu’elle ne pourrait pas être telle si elle n’avait pas rencontré le contexte de la crise structurelle des gauches.

Or, le quasi-effondrement des deux pôles, le pôle communiste (à cause de la prise de conscience massive du totalitarisme stalinien après la chute du Mur de Berlin en 1989) et le pôle social-démocrate (crise plus lente liée à son adoption pratique d’une version du néolibéralisme économique à partir de 1983, avec un double décrochage vis-à-vis de la composante sociale de ses politiques historiques et des classes populaires, dont la présidence de François Hollande a été l’apogée et la chute phénoménale ), qui ont dominé la gauche au XXe siècle, ce n’est pas rien comme défi !

Cependant les difficultés réelles ne doivent pas nous faire baisser les bras. Je livrerai ici modestement quelques pistes sous la forme d’hypothèses .

Dans ce cadre, on doit pouvoir développer une lucidité critique, qui associe deux horizons temporels :

  • 1) agir à court terme pour que l’extrême droite ne gagne pas la présidentielle, puis les législatives de 2027 (cette victoire devenant malheureusement de plus en plus possible),

  • et 2) envisager, en même temps, la possibilité qu’elle gagne, mais dans la perspective qu’elle reste le moins longtemps au pouvoir, que la France ne connaisse pas une situation à la hongroise.

Il s’agirait donc de tenter d’empêcher la victoire électorale du RN, tout en prévoyant notre échec et donc sa victoire, en travaillant alors dès maintenant au raccourcissement de sa présence au pouvoir.

Dans cette double vision en tension, il y a, selon moi, un axe secondaire (mais nécessaire) et un axe principal .

Le combat contre l’extrême droite : secondaire et nécessaire

Le secondaire, selon moi, c’est le combat direct contre les idées et les pratiques de l’extrême droite , à partir de leur connaissance raisonnée (par exemple, à partir de ce que j’ai pu établir dans La Grande Confusion, sur l’extrême droite idéologique, mais aussi à partir de ce qu’ont fait de manière intéressante toute une série de travaux en science politique sur le FN-RN, ses idées, ses programmes, son histoire, son organisation ou son électorat), en mettant en évidence les dangers qu’elle porte. C’est secondaire, mais nécessaire .

Ce qu’apporte de spécifique mon livre La Grande Confusion, par rapport à d’autres travaux fort utiles sur l’extrême droite, c’est la prise en compte de la contribution confusionniste à l’extrême droitisation .

Je nomme confusionnisme le développement d’interférences entre des postures et des thèmes d’extrême droite, de droite, du “macronisme”, de gauche modérée dite “républicaine” et de gauche radicale

Je rappelle que je nomme confusionnisme le développement d’interférences entre des postures et des thèmes d’extrême droite, de droite, du “macronisme”, de gauche modérée dite “républicaine” et de gauche radicale .

Cela doit nous rendre vigilants (et il y a d’énormes progrès à faire sur ce plan) vis-à-vis de proximités rhétoriques non conscientes au sein même de la gauche avec des thèmes et des postures de l’extrême droite :

  • les identitarismes (c’est-à-dire des logiques de réduction des personnes et des groupes à une identité principale, homogène et fermée, de manière positive ou négative : mise en avant de “l’identité nationale”, discours anti-migrants, islamophobie, antisémitisme…),

  • la survalorisation de la nation comme seule solution (mais que peut faire une nation seule en matière de changement climatique ou de répartition plus juste des richesses ?) et la dévalorisation corrélative de la solidarité internationale,

  • le recours à des schémas conspirationnistes (se focalisant sur de supposées manipulations cachées) pour expliquer des événements à la place de la critique sociale structurelle d’inégalités, de rapports de domination et de discriminations (de classe, de genre, raciaux, homophobes, transphobes…), etc.

Si on veut lutter contre l’extrême droite, il faut d’abord éviter d’apporter de l’eau à son moulin sans le vouloir et même sans s’en apercevoir

Si on veut lutter contre l’extrême droite, il faut d’abord éviter d’apporter de l’eau à son moulin sans le vouloir et même sans s’en apercevoir .

Quant aux collectifs antifascistes qui luttent spécifiquement contre l’extrême droite, il faut particulièrement éviter leur pollution par des schémas conspirationnistes . Or trop souvent les groupes antifas tombent dans cette ornière en étant obsédés par “les manipulations cachées” et “les infiltrations” venant de l’extrême droite.

Or, on peut difficilement lutter contre l’extrême droite en recourant à des formes rhétoriques analogues aux siennes, et donc en donnant de la légitimité sans le vouloir à ses modes de pensée.

Au-delà des groupes antifas, il y a un enjeu important dans le combat culturel contre l’extrême droite à inventer et à privilégier des formes de récit, de narration, non conspirationnistes, dans les films de fiction, les séries TV, les chansons, les jeux vidéo…

Au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2027 il faudra éviter de participer à déstabiliser un peu plus la frontière symbolique avec l’extrême droite, en utilisant des slogans tels que “bonnets blancs et blancs bonnets”

Enfin, au dernier moment, au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2027, il faudra éviter de participer à déstabiliser un peu plus la frontière symbolique avec l’extrême droite, en utilisant des slogans tels que “bonnets blancs et blancs bonnets”, les “Macron-Le Pen même combat” pouvant devenir “Edouard Philippe-Marine Le Pen même combat”.

Car si on met le doigt là-dedans, comme ça s’est déjà passé en 2017 et en 2022, on se tire au dernier moment une balle dans le pied, en banalisant un peu plus le RN et en l’aidant involontairement à franchir les dernières marches .

La renaissance d’une gauche d’émancipation : le principal

Le principal, selon moi, c’est la renaissance d’une gauche d’émancipation à partir de la crise structurelle du pôle communiste et du pôle social-démocrate et des défaillances de la gauche radicale pour les remplacer .

Le principal ne consisterait donc pas à critiquer les idées d’extrême droite, même si c’est nécessaire, mais le principal consisterait à redonner sens à une alternative de gauche, pas un “homme providentiel”, pas une organisation miracle, mais un nouveau souffle à gauche, un nouvel imaginaire .

Du point de vue de l’efficacité d’une action politique émancipatrice, on ne peut pas, à mon avis, se passer d’organisations ( mais d’autres organisations plus démocratiques ) et de porte-parole (mais sous la forme d’une pluralité de figures individuelles incarnant un projet d’émancipation, et en restreignant la durée des mandats afin de déprofessionnaliser la politique), mais pas immédiatement, pas avant d’avoir faire germer sur le terrain les graines d’un projet renouvelé d’émancipation, en valorisant les praxis émancipatrices existantes, en en stimulant d’autres et en travaillant à des convergences.

Attention à ne pas mettre la charrue avant les bœufs !

Attention à ce que la course à un nouvel “homme providentiel” n’empêche pas de retrouver des appuis dans la vie quotidienne des personnes ordinaires, dans les luttes locales et dans les expériences alternatives.

Autrement, le prétendu “homme providentiel” risque de s’envoler loin de nous, comme un ballon gonflable qui échappe de la main d’un enfant, sans être lesté dans des imaginaires personnels et collectifs et dans des pratiques concrètes.

Combien de ballons, seulement gonflés d’images médiatiques et de tactiques politiciennes, n’avons-nous pas perdu ainsi depuis que nous cherchons à répondre à la double crise du pôle communiste et du pôle social-démocrate ?

Si quelque chose bouge du côté gauche à nouveau, ce sera un élément de frein quant à la possible victoire de l’extrême droite en 2027

Il faudrait commencer dès maintenant : parce que si quelque chose bouge du côté gauche à nouveau, ce sera un élément de frein quant à la possible victoire de l’extrême droite en 2027.

C’est donc un élément de réponse à l’urgence .

Mais c’est également une réponse, structurelle cette fois, à moyen terme.

Car si une alliance du RN et de larges fractions de la droite gagne les prochaines échéances présidentielle et législative, il faudra éviter la marginalisation de la gauche. Ce qui nous enjoint à commencer dès maintenant à construire les bases d’une gauche renouvelée. Pour que l’extrême droite ne reste pas longtemps au pouvoir.

Ce serait donc tout à la fois une réponse à court terme et une réponse à moyen terme. Dans cette perspective, les collectifs contre l’extrême droite ont peut-être un rôle de jonction à jouer entre, d’une part, le combat immédiat contre les idées de l’extrême droite et, d’autre part, la renaissance d’une gauche d’émancipation .

C’est-à-dire qu’il me semble que ces collectifs ne pourront pas se contenter du premier, du secondaire. S’ils veulent faire sérieusement leur boulot, ils devront mettre un ou plusieurs doigt(s) dans le second, le principal .

Cette réinvention d’une gauche d’émancipation doit se faire à partir de la vie quotidienne, des sociabilités ordinaires, en prenant appui sur le tissu associatif et syndical

Cette réinvention d’une gauche d’émancipation doit se faire à partir de la vie quotidienne, des sociabilités ordinaires, en prenant appui sur le tissu associatif et syndical .

Depuis les premiers pas de la gauche radicale dans les années 1990, on a eu du mal à faire ce travail patient et quotidien. On a cru à des contes de Noël autorisant des raccourcis, en faisant l’économie de la constitution d’appuis plus solides dans la société.

On a trop couru après des “hommes providentiels” et/ou de nouvelles organisations miracle.

J’en reviens au récent livre écrit avec Philippe Marlière Les Tontons flingueurs de la gauche , qui s’efforce de montrer que les prétendus “sauveurs suprêmes” de la gauche ont contribué à aggraver sa crise .

Et on voit bien comment la possibilité de reconstruire une gauche d’émancipation dès aujourd’hui à partir de la vie quotidienne pourrait être facilement balayée une nouvelle fois par le rêve d’un nouvel “homme providentiel” pour 2027, comme François Ruffin pour la gauche radicale ou Raphaël Glucksmann pour la gauche sociale-démocrate…

Qui dit gauche d’émancipation, dit aussi projet d’émancipation

Mais un projet d’émancipation individuelle et collective, ce n’est pas seulement et principalement un programme avec des mesures techniques.

La gauche a plein de programmes dans ses armoires.

Il faudrait quelque chose de plus, qui donne du sens, qui produit un souffle .

On peut déjà en percevoir quelques axes, dérivés de la critique des idées d’extrême droite que j’ai pu faire dans la deuxième partie de cet exposé et dans La Grande Confusion :

  • associer questions sociales (une autre répartition des richesses économiques, des ressources culturelles et des possibilités de reconnaissance sociale) et questions sociétales (le droit à l’avortement, l’abolition de la peine de mort ou le mariage pour tous font bien partie de l’histoire de la gauche) dans un cadre radicalement démocratique ( le fonctionnement oligarchique autour d’un chef tout-puissant, Jean-Luc Mélenchon ou quelqu’un d’autre, dans une organisation politique ne peut pas être garant de ce cadre );

  • faire converger les secteurs des couches populaires et moyennes qui construisent encore une dignité à travers le travail et les secteurs précarisés , vivant notamment de minima sociaux, qui ont un rapport plus dévalorisé au travail (c’est pourquoi se focaliser comme François Ruffin sur la seule “valeur travail” ou dénigrer cette dernière comme nécessairement “de droite”, comme Sandrine Rousseau, ou dénoncer “la gauche des allocs”, comme Fabien Roussel, est aux antipodes de ce travail difficile de convergence) ;

  • faire converger travailleurs français et immigrés sur des intérêts communs ;

  • défendre le caractère pluriculturel de notre société et les bienfaits des métissages culturels ;

  • articuler action locale, action nationale et action internationale pour les questions écologiques comme pour les questions sociales ;

  • se soucier tout à la fois des aspects individuels et des aspects collectifs de l’émancipation.

  • lier l’émancipation des dominations et la préservation d’attachements individuels et collectifs aux univers naturels ; les Lumières du XVIIIe siècle et le socialisme des XIXe et XXe siècles nous ont appris à nous détacher des préjugés dominants et des inégalités qu’ils justifient pour s’émanciper individuellement et collectivement ; la pensée écologiste du XXIe siècle (comme celle de Bruno Latour) nous invite à nous attacher aux mondes naturels pour ne pas sombrer ;

Si l’on n’insiste que sur le détachement, on loupe les enjeux écologiques (dont ceux, urgents, des dérèglements climatiques) ;

Si on n’insiste que sur les attachements, on risque la justification conservatrice des dominations.

Ce ne sont que quelques pistes dessinées à rebours des idées ultraconservatrices si dynamiques dans les débats publics aujourd’hui .

Cependant, pour moi, le principal dans le principal, c’est la renaissance d’un imaginaire de gauche, d’un imaginaire émancipateur

Cependant, pour moi, le principal dans le principal, c’est la renaissance d’un imaginaire de gauche, d’un imaginaire émancipateur.

Un imaginaire émancipateur, cela renverrait à quoi ?

À une galaxie de repères à la fois sensibles et raisonnés, de valeurs, de désirs, d’affects et de connaissances, porteurs d’une critique sociale de l’ici et maintenant associée à des images d’un monde meilleur , autorisant un élargissement mental des possibles.

Pas quelque chose qui se situerait seulement au niveau des idées, mais des aperçus de raison sensible insérés dans des pratiques, qui émergeraient transversalement des sociabilités quotidiennes, des différents terrains de lutte, des expériences alternatives et des pratiques culturelles.

De ce point de vue, ce qui se trame dans la culture populaire de masse (chansons, cinéma, polars, séries TV, jeux vidéo…) et dans son inscription au sein de la vie ordinaire de nos contemporains constitue un enjeu politique important.

Il ne pourra devenir clairement perceptible à gauche que si les intellectuels critiques et les militants radicaux cessent de réduire principalement la culture populaire de masse à une “aliénation” généralisée (ce que j’appelle “la pensée Monde diplo”). Il faudrait ensuite travailler à tisser des passages et des hybridations entre ces repères pour leur donner davantage un air de famille politique commun.

Une telle perspective impliquerait de se décentrer par rapport au champ politique institutionnalisé

Une telle perspective impliquerait de se décentrer par rapport au champ politique institutionnalisé.

Je fais l’hypothèse que la politique de gauche pourrait être sauvée par ses bords , pas par son centre institutionnel et politicien trop autocentré et trop déréglé idéologiquement.

J’ai accepté depuis mars 2023 d’écrire une chronique mensuelle sur le site du Nouvel Obs intitulée “Rouvrir les imaginaires politiques”.

C’est dans cette perspective que, à un niveau fort modeste parce que conscient de son faible écho potentiel, j’ai accepté depuis mars 2023 d’écrire une chronique mensuelle sur le site du Nouvel Obs intitulée “Rouvrir les imaginaires politiques”.

J’y traite des problèmes d’actualité politique, mais en passant par des chansons, des films, des romans policiers ou des séries TV.

Souvenons-nous du puissant PCF des années 1960 : il aurait été moins fort, par exemple, s’il n’y avait pas eu les chansons de Jean Ferrat. Cette bande-son a contribué à nourrir les imaginaires de millions de personnes à l’époque. Un des défis principaux aujourd’hui, c’est de refaire la bande-son d’une gauche à réinventer, donc pas exactement la même bande-son.

Deux chansons peuvent illustrer, à titre d’exemples, mon propos

“Ma môme”, chantée par Jean Ferrat en 1961

La première chanson, c’est “Ma môme”, chantée par Jean Ferrat en 1961 (paroles de Pierre Frachet et musique de Ferrat).

On a ici une dignité qui est inscrite dans les sociabilités ouvrières (“elle travaille en usine à Créteil”). On a la construction d’un bonheur ordinaire dans une opposition de classe, dans la critique de la prétention au monopole bourgeois du bonheur

  • “Ma môme, elle joue pas les starlettes/Elle met pas des lunettes de soleil”

    • “On va pas à Saint-Paul-de-Vence”).

Et la culture n’est pas réservée à ceux d’en haut : “C’est beau comme du Verlaine, on dirait”.

Un bonheur malgré les difficultés matérielles:

"Dans une banlieue surpeuplée,
on habite un meublé,
elle et moi/La fenêtre n'a qu'un carreau
qui donne sur l'entrepôt et les toits".

Dans un cadre collectif, ce sont des individualités singulières qui émergent, qui aspire au bonheur, à autre chose, et qui commencent à le vivre dès maintenant.

La chanson est à l’époque en avance sur le discours politique du PCF, dont Ferrat était un compagnon de route : dans la valorisation des individualités contre le “tout collectif” du discours communiste et dans l’émergence des femmes ouvrières par rapport à la figure dominante de l’ouvrier masculin.

Bien sûr, la chanson a également des décalages avec le contexte actuel : par exemple, la femme y existe encore trop sous l’angle principal de sa relation à l’homme, le couple et le couple hétérosexuel sont la norme de la vie amoureuse.

Il ne s’agit donc pas de nostalgie pour refaire la même chose qu’avant, mais de s’intéresser à la bande-son de la gauche de l’époque pour envisager une bande-son actuelle .

La seconde chanson est plus proche de nous et de nos préoccupations, c’est “Foule sentimentale”, par Alain Souchon 1993

La seconde chanson est plus proche de nous et de nos préoccupations, c’est “Foule sentimentale”, écrite, composée et interprétée par Alain Souchon, sortie en 1993.

La chanson reçoit en 2005 la Victoire de la musique de la meilleure chanson des vingt dernières années. Elle offre quelques pistes pour la nouvelle bande-son de la gauche d’émancipation.

Souchon se fait critique des contraintes de la marchandisation des sentiments et des désirs de réalisation de soi dans les sociétés capitalistes contemporaines

“Oh la la la vie en rose/le rose qu’on nous propose/d’avoir les quantités d’choses/qui donnent envie d’autre chose/aïe on nous fait croire/que le bonheur c’est d’avoir/de l’avoir plein nos armoires/dérisions de nous dérisoires car…”

Ou encore:

"on nous inflige/des désirs qui nous affligent
on nous prend faut pas déconner dès qu’on est né
pour des cons alors qu’on est des".

Toutefois, les attentes des individus ordinaires apparaissent en décalage avec la commercialisation des désirs. Il y a une tension entre les réponses commerciales données aux désirs de réalisation de soi et les rêves d’ailleurs portés par ces désirs :

"Foule sentimentale/on a soif d’idéal/attirée par les étoiles,
les voiles/que des choses pas commerciales".

Et la chanson sort de la tentation à gauche de stigmatiser “l’aliénation” des autres.

C’est bien la victime du capitalisme, l’interprète s’incluant dans le “nous”, qui énonce la critique, une critique intérieure donc. Avec une pointe d’auto-ironie intéressante:

"Dérision de nous dérisoires".

Ce ne sont que deux petites illustrations d’un vaste et difficile problème.

Difficile, mais pas sans atouts, car on ne doit pas confondre la tendance à l’extrême droitisation des débats publics (analysée par La Grande Confusion) et l’état de la société.

La société est plus composite, contradictoire et mouvante, même si les discours xénophobes y ont progressé.

Il y a des écarts avec le débat médiatique et politicien.

Un indice fragile : une société pour qui, en 2023 (selon le baromètre IFOP), il y a comme personnalités préférées:

  • Jean-Jacques Goldman (1er) ,

  • Omar Sy (4e),

  • Soprano (6e),

  • Francis Cabrel (7e)

  • ou Grand Corps Malade (8e)

peut-elle être considérée comme majoritairement extrême droitisée ?

Notons qu’il s‘agit d’artistes populaires.

Liens

2023-12-10 leftrenewal Pour une gauche démocratique et internationaliste, Contribution au renouveau et à la transformation de la gauche