2024-04-19 A propos du “meeting juif international contre le génocide en cours” du 30 mars 2024 par VP.

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Introduction

Nous avons publié pour débat, le 11 avril 2024 , des échos sur le “meeting juif international face au génocide en cours”, tenu le 30 mars à Paris sous l’égide de l’UJFP et de Tsedek, dans les locaux du POI.

Le moment présent ne manque pas de pièges : a priori, l’affichage présentant des militants juifs solidaires de la cause palestinienne ne peut que susciter la sympathie. Mais à y regarder de plus près, force est de constater l’absence totale de toute représentation, dans ce meeting, des courants juifs et groupant palestiniens et juifs, qui, en Israël, combattent en ce moment même la guerre de destruction de Netanyahou et luttent contre la répression, comme Standing Together, de même que l’absence, dans les comptes-rendus disponibles (publiés par l’UJFP, Tsedek et dans Informations Ouvrières, journal du POI), de critique du Hamas et de mention de ses otages.

C’est que, plus précisément qu’un meeting “juif international face au génocide en cours”, il s’agissait d’un meeting “antisioniste”

C’est que, plus précisément qu’un meeting “juif international face au génocide en cours”, il s’agissait d’un meeting “antisioniste” groupant des juifs et des non-juifs sur un thème central : le “sionisme” en tant que tel doit être détruit .

L’UJFP déclare dans son communiqué rendant compte du meeting : “Nous traversons une époque particulièrement dangereuse pour les minorités juives, prises en étau entre l’antisémitisme historique occidental et la fascisation des sociétés occidentales d’une part, et le ressentiment anti-juif provoqué par le colonialisme israélien et le sionisme réellement existant. La place qui nous est accordée dans ce monde est intenable et le sentiment d’isolement et de mal-être qui touche de larges parties des communautés juives est étouffant.”

Le sentiment d’isolement constaté est bien réel. Mais saisissons bien la construction idéologique de l’UJPP dans ce qu’elle suggère et dans ce qu’elle tait. L’antisémitisme “historique” serait, toujours aujourd’hui, “occidental” – seulement “occidental” – de même que la “fascisation”.

Russie, Chine, Arabie saoudite, Iran ?

Étonnant : les “BRICS+” comme on dit à présent, ne semblent concernés ni par l’antisémitisme, ni par la “fascisation” !

Étonnant : les “BRICS+” comme on dit à présent, ne semblent concernés ni par l’antisémitisme, ni par la “fascisation” !

Et d’autre part, distinct de l’antisémitisme par essence “occidental”, il y a ce “ressentiment anti-juif” qui est, lui, même s’il peut sans doute être gênant car violent, bien légitime, puisque “provoqué par le colonialisme israélien et le sionisme réellement existant” …

Voilà pour ce qui est suggéré ; quant à ce qui est tu, c’est le fait massif que c’est le pogrom – le pogrom, je maintiens ce terme , et non pas une quelconque offensive militaire anticoloniale – du 7 octobre 2023 qui a fait exploser parmi les juifs dans leur ensemble, en Israël et dans le monde, un terrible sentiment de solitude, dont la cause immédiate, cette plaie à vif, est ici délibérément tue par l’UJFP .

Ce sentiment d’isolement, dans ces conditions, est pris entre l’union sacrée avec le RN et le gouvernement, qui soi-disant “luttent contre l’antisémitisme” en brandissant le mot “terroriste”, et ce silence des “antisionistes”, même quand, comme là, ils sont juifs et expriment ce sentiment.

Venons-en maintenant à la manière dont la cause nationale palestinienne est présentée par les principaux intervenants du meeting. Rima Hassan, militante franco-palestinienne et candidate de LFI aux élections européennes, insiste, selon Informations Ouvrières, sur le fait que “la Nakba est le seul cadre opérant pour appréhender la question palestinienne, ce n’est pas seulement un évènement historique, cela renvoie à ce qu’est la réalité palestinienne.”

Que faut-il entendre par la formule “seul cadre opérant” (la Nakba) ?

On ne peut qu’approuver la place faite à la Nakba, au cœur de l’oppression nationale et coloniale que subissent les Palestiniens, et rejeter tout négationnisme et toute minimisation de ce fait historique et de ses prolongements, mais que faut-il entendre par la formule “seul cadre opérant” ?

Que dirait-on de militants sionistes expliquant, comme cela arrive, que la Shoah serait “le seul cadre opérant” pour appréhender la question israélienne, sinon la même chose : qu’en effet c’est tout à fait central, mais que ce n’est pas “le seul” cadre opérant ?

Le cadre opérant ne comporte pas que la temporalité renvoyant à la Nakba, ainsi qu’à la Shoah et à un certain nombre d’autres évènements, dont les expulsions antisémites massives vers Israël commises après 1948 dans les États arabo-musulmans (mais s’agirait-il d’un “ressentiment” bien compréhensible, pour parler comme l’UJFP ?), ainsi que la colonisation de la Cisjordanie, l’annexion de Jérusalem, la concentration de réfugiés à Gaza et leur blocus de fait.

Le cadre opérant, c’est aussi la situation mondiale, les rapports de force entre les classes au niveau mondial, le jeu non seulement de “l’Occident”, mais des autres puissances impérialistes et sous-impérialistes comme la Russie et l’Iran. Et bien entendu le rôle actif du Hamas .

Faire l’impasse sur la lutte des classes, la situation mondiale et le jeu de toutes les puissances, ce n’est pas saisir la place – essentielle – de la Nakba, c’est en faire un fétiche.

Cette fétichisation est reproduite, hélas, par l’emploi indiscriminé du mot “génocide” à propos du traitement infligé à Gaza

Cette fétichisation est reproduite, hélas, par l’emploi indiscriminé du mot “génocide” à propos du traitement infligé à Gaza. Probablement 30.000 morts sur 2,3 millions de personnes, leur habitat totalement détruit, les bombes, la faim et les maladies, c’est absolument abject.

Mais “génocide” signifie destruction d’une nationalité ou d’un groupe culturel entier, destruction physique.

La Nakba elle-même n’a pas été, en ce sens, un génocide, mais une opération de “purification ethnique” selon la sordide expression datant des crimes intentionnels commis principalement par les milices grand-serbes et croates en 1992-1995.

Employer le mot “génocide” dans un élan d’indignation est une chose, le reproduire systématiquement comme un slogan – répondant au mot “terroriste” dans le vocabulaire des dirigeants israéliens et “occidentaux” – en est une autre, qui ne contribue pas à saisir le traitement infligé aux Gazaouis et donc à le dénoncer efficacement, cela en particulier parce qu’il y a bel et bien risque génocidaire : mais on ne dénonce pas un risque génocidaire, et à plus forte raison on ne combat pas pour en empêcher la réalisation possible, si l’on crie sans arrêt que “le génocide” est là.

Cela d’autant plus qu’il faut bien dire que pour une bonne partie des forces politiques intervenant à ce meeting, il a toujours été là, avant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité massivement commis par Tsahal depuis le 8 octobre 2023 : l’invocation du “génocide” à Gaza était déjà un topos équivoque.

Et il faut bien dire aussi que les mêmes, généralement, n’ont jamais dénoncé et nommé les risques génocidaires présentés par l’armée et l’État russe en Ukraine, par les forces azerbaïdjanaises au Karabagh/Artsakh, par les crimes de masse du régime syrien, envers les Ouïghours en Chine, les Rohingyas au Myanmar, les Tigréens en Éthiopie : pour la plupart des adeptes de la “Nakba” et du “génocide” amalgamés et fantasmés de toute éternité à Gaza, les menaces génocidaires réelles, du moment qu’elles ne sont pas “occidentales” et, surtout, “sionistes”, n’existent pas .

Il y a une cohérence entre la fétichisation de la “Nakba” et du “génocide” et l’assignation à un prétendu “Occident” de l’antisémitisme et de la “fascisation”.

Cette cohérence est celle d’une vision du monde ne reposant pas sur les luttes sociales, nationales et féministes pour l’émancipation, mais sur l’union sacrée avec les régimes capitalistes non “ occidentaux”, avec pour drapeau la dénonciation du “sionisme” .

Ainsi, le combat contre “le sionisme” passe devant le combat effectif pour les droits démocratiques et nationaux effectifs des Palestiniens, et la dénonciation ritualisée du “génocide” à Gaza passe devant le combat effectif pour stopper la menace génocidaire contre les Gazaouis, ainsi que la menace d’épuration ethnique en Cisjordanie.

C’est dans ce cadre idéologique, plus ou moins explicite ou implicite selon les intervenants, que se place la conception de la rupture avec le sionisme telle que la présente le dirigeant de Tsedek, Simon Assoun, d’après Informations Ouvrières : “rompre avec l’État d’Israël, avec la honte de l’exil qui fonde le sionisme”.

Cela ne permet pas d’occulter le fait tout bête que ce foyer national existe aujourd’hui avec un groupe national judéo-israélien en son sein, et depuis un certain temps déjà

Simon Assoun se réfère ici à un débat ancien dans la judéité, sur la possibilité d’une judéité non liée à un foyer national juif. Ceci est possible, l’existence de juifs non israéliens et non liés à Israël en atteste.

Mais cela ne permet pas d’occulter le fait tout bête que ce foyer national existe aujourd’hui avec un groupe national judéo-israélien en son sein, et depuis un certain temps déjà : la rupture avec le sionisme implique-t-elle sa destruction ? Et, pour le moins, le renvoi de sa population juive à “l’exil”, par expulsion dans le meilleur des cas ?

Simon Assoun tait pudiquement ce risque … génocidaire, possible , et les comptes-rendus du meeting affirment vouloir la vraie et bonne cohabitation et coexistence judéo-palestinienne, faisant ainsi l’impasse et sur le fait que deux nations appellent deux États (laïques et démocratiques), et sur la question du, ou d’un, refuge contre l’antisémitisme.

De plus, il semble ne pas avoir noté que l’onde de choc du 7 octobre – du pogrom du 7 octobre – a concerné aussi bien “l’exil” que les judéo-israéliens.

Le supposé rassemblement historique de juifs rompant leur sentiment d’isolement en s’alliant aux forces voulant “en finir avec le sionisme” montre bien ses limites : incapacité à aborder la question du fait national judéo-israélien autrement que par l’invocation d’un lendemain chantant où tous cohabiteront, incapacité à pousser l’empathie qu’ils ressentent certainement eux aussi, dans leur sentiment d’isolement, jusqu’à partager l’horreur juive, et l’horreur humaine, à la fois envers la destruction et le risque génocidaire à Gaza et envers le pogrom du 7 octobre 2023 …

Ceci doit aussi conduire à faire justice de cet autre fétiche plus spécifique qu’est l’invocation permanente, dans ce meeting, du Bund, le mouvement socialiste juif non sioniste que la Shoah, le stalinisme et la politique israélienne ont occulté, avec la plus grande partie de la culture yiddish.

Certains des courants (pas tous) se réclamant de la tradition du Bund était représentés à ce meeting, mais si l’on veut restaurer la mémoire et l’histoire, il convient de comprendre que le Bund, conjointement avec le sionisme, a été l’expression de l’émergence, par la lutte contre l’oppression et contre l’antisémitisme, du fait national juif, et qu’on ne saurait l’en dissocier.

Alors, bien entendu, tous disent et pensent sans doute sincèrement qu’il convient de “lutter contre l’antisémitisme”.

Mais, outre que l’UJFP nous explique qu’il n’est d’antisémitisme qu’ “occidental”, cette lutte est cadenassée par l’obligation d’être, systématiquement, associée à la dénonciation, non pas du colonialisme et du racisme, mais bien spécifiquement du “sionisme” et du “génocide” qui lui serait consubstantiel.

Houria Bouteldja, auteure d’essais à double sens, passant pour les idiots utiles pour des dénonciations de l’islamophobie tout en étalant une haine antisémite, antiféministe et homophobe explicite

Ici s’éclaire l’intervention de celle qu’ Informations Ouvrières présente comme la “militante décoloniale” Houria Bouteldja. Auteure d’essais à double sens, passant pour les idiots utiles pour des dénonciations de l’islamophobie tout en étalant une haine antisémite, antiféministe et homophobe explicite, celle-ci donne ce qui est en fait l’axe politique central de ce meeting, dont l’importance n’a pas échappé à Informations Ouvrières, qui donne cette citation en exergue:

" … faire bloc contre les sionistes de gauche".

Golem , qui est allé affronter le RN dans le rassemblement d’union nationale du 10 novembre 2023, est particulièrement dénoncé. Affleure ainsi le socle idéologique du rassemblement d’union sacrée avec les classes dirigeantes “décoloniales”, qui a effectivement une petite saveur historique, que fut en réalité ce meeting.

Pour finir, trois organisations de la gauche française ont eu leurs orateurs.

Une seule d’entre elle, par ailleurs, ne tombe pas sous le reproche fait plus haut de n’avoir dénoncé aucun autre “risque génocidaire” que celui du “sionisme” éternel, notamment en prenant position pour le soutien à la résistance ukrainienne (une position combattue énergiquement par toutes les autres composantes du meeting et sur laquelle il a naturellement été fait silence, alors que le contexte mondial réel du 7 octobre 2023 et de ses suites, et donc la défense des Palestiniens, ne saurait faire l’impasse dessus ) : le NPA, représenté par Manon Boltansky, qui a par ailleurs animé une “formation” du NPA “sur l’antisémitisme” dont la présentation donne l’impression qu’elle a consisté surtout à expliquer que l’accusation d’antisémitisme est une arme des “dominants”.

Le NPA, fourgué dans ladite “gauche de rupture”, est là dans un piège campiste menaçant envers ses traits authentiquement internationalistes.

Les deux autres sont les députés Jérôme Legavre (POI et LFI) et Thomas Portes (LFI). Dans le résumé publié par l’UJFP faisant le bilan politique de ce meeting, ces trois organisations, LFI, POI et NPA, sont présentées comme constituant la “gauche de rupture”.

Il convient, pour conclure, de s’interroger sur cette notion de “gauche de rupture” telle que ce meeting semble vouloir la dessiner.

Indépendamment de sa tenue, l’idée qu’il y aurait une gauche “plus à gauche” et une autre qui le serait moins ou pas du tout, est banale dans bien des couches militantes, sans que cela ne change rien au sentiment, dans les larges masses, que tous se valent et les ont pareillement laissés tomber.

Il s’agit de … de réaction, de réaction sur toute la ligne : la “rupture” vise le “sionisme” et “l’Occident” et conduit à l’union sacrée avec la pire réaction.

Le problème est que si l’on décrypte l’orientation mondiale de ladite “rupture” telle qu’elle s’est clairement montrée à qui veut voir, dans ce meeting, alors il s’agit de … de réaction, de réaction sur toute la ligne : la “rupture” vise le “sionisme” et “l’Occident” et conduit à l’union sacrée avec la pire réaction.

Laquelle a pointé son nez en la personne de Houria Bouteldja, qui leur a donné clairement l’axe central : le sionisme, voilà l’ennemi, et plus il est à gauche, plus il faut le détruire !

Tous (mais pas elle !) se récrient sincèrement à l’idée qu’on puisse les traiter d’antisémites. Subjectivement, ils ne veulent pas l’être. Et, bien entendu, les menaces macroniennes et darmaniennes contre la liberté d’expression, qu’il faut combattre, les confortent dans leurs certitudes d’être purs et sans taches .

Mais que penser d’une idéologie dans laquelle seul “l’Occident” se fascise et garde encore quelques traces résiduelles d’antisémitisme, alors que le “ressentiment” antijuif des opprimés est, somme toute, bien compréhensible, étant donné “le génocide” perpétré par essence par “les sionistes”, lesquels seraient l’expression concentrée de ce mal qu’est “l’Occident” auquel tout le capitalisme est ramené, sans être lui-même compris comme rapport social ?

La réponse, vous la devinez je pense.

Qu’elle fasse grincer des dents ne change rien au problème …

VP, le 19/04/2024.