2023-12-20 Loi immigration : Nous sommes des millions à nous sentir rejetés par le plus haut sommet de l’Etat et les institutions de notre démocratie

Comment recevoir cette loi autrement que comme du rejet et de l’ingratitude ?

Les immigrés ont été et sont des contributeurs essentiels à la prospérité de la France. Il est nécessaire d’organiser une convention citoyenne sur le sujet avec les premiers concernés, demande Rooh Savar, président de l’association Singa .

par Rooh Savar, Président de Singa, cofondateur de Welcome Account

Je parlais récemment avec un entrepreneur français d’origine polonaise qui me parlait de son enfance dans un “camp d’immigrés” en Ile-de-France.

C’est ainsi qu’il décrivait la cité fermée où sa famille a été logée dans les années 50. Comme de nombreuses familles venues surtout d’Europe de l’Est et d’Afrique du Nord et de l’Ouest, sa famille s’est retrouvée là pour travailler dans les usines françaises.

Leurs enfants sont devenus commerçants, fonctionnaires d’Etat, artistes, chercheurs ou entrepreneurs comme Alexandre qui me racontait cette histoire. La reconstruction de l’économie française après la Seconde Guerre mondiale n’aurait pas été possible sans eux. Ils ont été des contributeurs indispensables.

Nous, les immigrés et nos enfants, avons également contribué au rayonnement culturel, scientifique, sportif et économique de la France dans le monde entier.

Marie Curie, Charles Aznavour, Dalida, Romain Gary, Leila Slimani, Zinédine Zidane, Kylian Mbappé, Roxanne Varza, Zar Amir Ebrahimi ne sont que quelques exemples. Ils et elles ont participé à des moments historiques de notre pays et ont rendu des dizaines de millions de nos concitoyens fiers d’être Français.

Aujourd’hui, nous sommes 7 millions d’immigrés vivant en France, soit 10,3% de la population totale. Dont 2,5 millions d’entre nous, soit 35 % parmi nous, ont acquis la nationalité française. La France compte également 7,6 millions d’enfants d’immigrés, donc nos enfants, dont près de la moitié ont deux parents étrangers.

Au total, nous et nos descendants immédiats représentons désormais plus d’un cinquième de la population française soit au moins 21,4% des habitants du pays. Comment recevoir ces mots et cette loi ?

Comment recevoir ces mots et cette loi ?

En tant que président de Singa, j’ai assisté au débat sur le projet loi immigration au Sénat et à l’Assemblée nationale. Dans les deux chambres parlementaires, dans la bouche des représentants de la nation, le mot “immigration” était majoritairement synonyme de “menace” et de “crise”. Pour une poignée de parlementaires, “immigration” ne rimait qu’avec “délinquance”, “criminalité” et “voile”.

Du 6 novembre 2023, la date de la présentation du projet loi au Sénat, au 18 décembre, le jour où le gouvernement a trouvé un accord avec la commission mixte paritaire (CMP), on a assisté au festival des horreurs sur l’immigration (l’ironie du calendrier : le 18 décembre est la journée internationale des migrants).

J’ai été le témoin direct de ce narratif xénophobe déroulé sans complexe dans les tribunes parlementaires.

Mais des millions de nos concitoyens l’ont vécu dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Comment recevoir ces mots et cette loi ?

Comment recevoir ces mots et cette loi ?

Nous sommes aujourd’hui des millions à nous sentir rejetés par le plus haut sommet de l’Etat et les institutions de notre démocratie.

Quand on réussit, on est contraint de cacher nos origines et d’invisibiliser les efforts et les sacrifices qui nous ont permis d’arriver là où nous nous trouvons. Mais quand il y a le moindre dysfonctionnement dans nos parcours, toute la responsabilité est renvoyée sur nous et nos origines immigrées.

On s’illusionne avec l’idée d’une “immigration choisie”

La “République” ne veut pas reconnaître les sacrifices faits pour notre pays d’accueil mais aussi pour nos enfants, dont leur CV aurait quatre fois moins de chance d’être accepté à cause de leur prénom.

Nous sommes moins payés par rapport à nos diplômes, nous nous levons plus tôt et rentrons chez nous plus tard que les autres, car nous sommes obligés de travailler plus pour subvenir aux besoins de nos familles mais aussi rattraper le déclassement socio-économique que certains d’en nous subissent en arrivant.

Selon l’Insee, pendant la pandémie de Covid-19, il y a eu neuf fois plus de décès par rapport à la moyenne nationale parmi les personnes d’origine d’Afrique subsaharienne car elles et ils étaient en première ligne pour garder le pays debout.

Face à cette décision du Parlement, nous sommes atterrés, elle signe l’ingratitude permanente d’une partie de la classe politique française à notre endroit.

Ces dirigeants politiques sont incapables de mesurer l’impact de leurs décisions sur notre moral. En 2015, la tentative heureusement inachevée d’introduction de la déchéance de nationalité pour les Français binationaux avait été un coup dur.

La loi immigration accentue un sentiment de rejet, d’ingratitude car elle inscrit dans la loi une discrimination des personnes immigrées .

On s’illusionne enfin avec l’idée d’une “immigration choisie” .

Dans le climat actuel, non seulement les talents étrangers ne feront pas le choix de s’installer dans un pays où leur statut est de moins en moins protégé par la loi, mais il est fort à parier que les personnes immigrées présentes pensent aussi à partir.

Une perte d’attractivité de la France pour les talents étrangers qui devraient profiter aux monarchies pétrolières du golfe persique ou de l’Amérique du Nord .

Au même moment, nous sommes quand même rassurés de voir que des représentants de la société civile se sont exprimés contre ce projet de loi irrationnel .

Le patronat, les universités, les médecins l’ont aussi contestée.

Signe qu’il existe encore du bon sens dans ce pays.

J’invite le gouvernement à répondre à notre appel pour organiser une convention citoyenne sur l’immigration, incluant les premières personnes concernées dans le processus.

La France a généreusement embrassé les migrations.

Elle en a aussi beaucoup bénéficié. Et elle en a encore besoin pour assurer un avenir prospère pour nos enfants.