2024-04-25 Je me sens aussi juif que palestinien par Santiago Amigorena

Le massacre perpétré par le Hamas était aussi injustifiable que l’est celui que continue de perpétrer l’armée israélienne aujourd’hui à Gaza

Le massacre perpétré par le Hamas était aussi injustifiable que l’est celui que continue de perpétrer l’armée israélienne aujourd’hui à Gaza. Peut-être faudrait-il partir de cette simple constatation pour réussir de nouveau à se parler : aucun massacre ne justifie un autre massacre par Santiago Amigorena, réalisateur, scénariste, écrivain

Introduction

Je suis juif. Je suis juif pour les Juifs parce que ma mère est juive, et je suis juif, historiquement si je puis dire, parce qu’une partie de ma famille est morte dans le ghetto de Varsovie ou à Treblinka et une autre dans des pogroms en Ukraine.

Je suis juif mais, étant également argentin, français, grec et tant d’autres choses, je ne prends pas souvent la parole en tant que Juif. Aujourd’hui pourtant, je vais essayer de le faire.

Je suis juif, et comme tant de Juifs, j’ai mal. J’ai mal pour les centaines de morts et pour les familles et les proches des centaines de morts tués par le Hamas en Israël le 7 octobre.

J’ai mal lorsque je lis ce témoignage à propos du massacre de la rave Supernova: deux amies manquent dans le groupe de Neta Abir-lev, la jeune femme cachée parmi les cadavres avec son compagnon : Linor Kainan et Karine Journo. Le dernier signe de vie de celle-ci, un message envoyé à son père, Doron. “Si je ne reviens pas, sachez que je vous aime”, a-t-elle écrit. C’était à 10 heures. Depuis, le silence.

J’ai mal lorsque je lis ces mots comme j’avais mal, quelques jours avant le 7 Octobre, en lisant le témoignage de ce père palestinien : “Là, j’ai vu une mare de sang, le réservoir d’eau fuyait de partout et se mélangeait au sang des enfants. La bombe n’avait pas creusé un grand trou, mais les murs étaient criblés de milliers de petits éclats de métal. Ma fille me montrait ses mains déchiquetées en disant : “Papa, j’ai mal.” Je l’ai prise dans mes bras pour la transporter jusqu’à l’ambulance qui est venue. Elle est morte en route.” J’ai mal comme, je crois, nous devrions tous avoir mal

J’ai mal pour les jeunes tués par le Hamas comme j’avais mal pour ce père et cet enfant palestiniens avant l’attaque du Hamas. J’ai mal pour les centaines d’Israéliens tués par le Hamas le 7 octobre comme j’ai mal pour les dizaines de milliers de Palestiniens tués par l’armée israélienne après cette attaque. J’ai mal comme, je crois, nous devrions tous avoir mal : sans faire aucune différence de nationalité, de race ou d’appartenance religieuse entre ceux qui suscitent notre compassion.

Ma douleur, bien sûr, n’a rien de comparable avec celle d’un père, d’un frère, d’un ami qui a perdu un proche. Mais, bien plus que juif, argentin, français ou grec, je suis aussi un père, un frère et un ami – et je peux partager quelque chose de cette douleur exactement de la même manière pour un Israélien et pour un Palestinien.

Le “Oui, mais” qu’on a tant entendu au lendemain de l’attaque du Hamas le 7 octobre, et qui était terrible à entendre, ressemble malheureusement beaucoup au “Oui, mais” qu’on entend aujourd’hui, et qui est tout aussi terrible à entendre. Le massacre perpétré par le Hamas était simplement aussi injustifiable qu’est injustifiable le massacre que continue de perpétrer l’armée israélienne aujourd’hui.

Peut-être faudrait-il partir de cette simple constatation pour réussir de nouveau à se parler : aucun massacre ne justifie un autre massacre. Etre blessé par le “Oui mais” d’hier ne peut pas être une raison de blesser aujourd’hui par un autre “Oui mais”.

Le débat sur ce sujet, pour n’importe quel être humain pour qui l’intelligence doit, en politique, primer sur l’émotion, devrait s’arrêter là .

Mais il est, bien sûr, d’autres éléments qui doivent entrer en ligne de compte dans le débat qui, n’agitant malheureusement pas le monde politique, agite le monde intellectuel aujourd’hui.

De la même manière qu’on pouvait être absolument antisioniste avant la création de l’Etat d’Israël, on ne peut plus l’être aujourd’hui : cet Etat existe, nier son existence ne peut qu’être une manière de réclamer sa destruction

De la même manière qu’on pouvait être absolument antisioniste avant la création de l’Etat d’Israël, on ne peut plus l’être aujourd’hui : cet Etat existe, nier son existence ne peut qu’être une manière de réclamer sa destruction .

Mais l’impossibilité d’être antisioniste devrait justement nous mener à être d’une exigence chaque fois plus grande par rapport à ce que devrait être le sionisme .

Comment pourrait, ou comment aurait pu, se manifester cette exigence ?

En étant aussi intransigeants avec l’extrême droite israélienne qui est au pouvoir qu’avec toute autre extrême droite, en contestant sa légitimité démocratique, en appliquant le fameux plan B : être des mauvais perdants, des citoyens qui ne jouent plus le jeu.

Nous sommes sans doute nombreux à avoir cru que l’Etat d’Israël, s’il ne devait pas forcément être le meilleur de tous les Etats, pouvait être parmi les meilleurs. Après toutes ces années où la droite et l’extrême droite se sont alternées au pouvoir, après toutes ces années où la politique israélienne à Gaza et en Cisjordanie, sans être identique à celle pratiquée en Afrique du Sud, prend aussi la forme d’un apartheid, il est temps de dire haut et fort que nous avons eu tort.

Je disais que j’éprouvais le besoin d’écrire en tant que Juif. Oui, c’est vrai.

Je ne suis pas palestinien. Je ne peux pas parler en tant que Palestinien. Je ne saurais prendre cette place. Je ne saurais écrire depuis leur souffrance.

Mais aujourd’hui, au-delà de ce que je peux ou ne peux pas écrire, je me sens aussi juif que palestinien.